PLAYLISTS : ENTRE OPPORTUNITÉS ET POINTS DE VIGILANCE
Après la question de la (nouvelle) relation entre artiste et producteur, c’est un autre sujet crucial qui est abordé lors du Forum Entreprendre dans la Culture 2017. A l’heure où les playlists s’imposent comme un nouveau mode d’écoute, elles sont devenues un atout marketing non négligeable pour les artistes.
Comment un artiste peut-il percer dans l’univers des playlists ? Comment s’adapter à ce nouveau support marketing ? C’est de nouveau un panel renommé qui s’attaque à ce sujet lors du Forum :
- Youssoupha, rappeur et President du label Bomayé Musik
- Lecomte de Brégeot, artiste, auteur, compositeur, interprète
- Tarafa Jacques Sahloul, responsable du développement, Idol (distributeur digital au service des labels de musique indépendants)
- Charlie Fraudeau, Key Account Manager, Believe Digital (leader mondial de la distribution digital et services aux artistes et labels indépendants)
- David Picard, label Nowadays (label indépendant spécialiste de la nouvelle scène électronique française)
Si le format de playlist fait un retour en force, il est bon de rappeler que l’action de créer des compilations de morceaux n’est pas nouvelle, bien au contraire ! Habitude ancienne des auditeurs qui regroupaient leurs titres préférés pour les écouter encore et encore, à l’ère des cassettes audio ou du CD la pratique était bien moins répandue qu’aujourd’hui.
Les playlists : la nouvelle radio ?
Pour Charlie Fraudeau, « la playlist est comme une radio, comme un média que chacun crée ». Le format playlist est pour lui plus flexible que le modèle de la radio, avec un temps de rotation plus court qui permet de programmer plus d’artistes. Alors qu’à la radio il est aussi rare d’entendre deux titres d’un même artiste programmés en même temps, c’est possible sur les playlists. Autre avantage de la playlist par rapport à la radio : pour chaque écoute, contrairement à la radio, les artistes et leurs équipes « ont accès à énormément de données […], des informations précises sur utilisateurs » précise Tarafa Sahloul.
Lecomte de Brégeot ajoute que là où les radios avaient autrefois un rôle de prescripteur, les playlists ont aussi permis au public de compléter cette prescription en mettant en avant les morceaux qu’il apprécie, influençant dans une certaine mesure les choix de programmation. David Picard précise cependant qu’un point commun important est à prendre en compte pour le placement en radio comme en playlist : « si un titre performe mal en playlist, tout comme en radio, il va se faire sortir« .
L’impact sur la création artistique
La construction des morceaux
Tout comme avec le développement de la radio, l’émergence des playlists comme véritable vecteur de promotion et d’écoutes influence progressivement les formats artistiques mis en avant sur les plateformes de streaming. Par exemple, puisque les utilisateurs ont tendances à passer rapidement d’un morceau à l’autre, il faut que le morceau démarre rapidement avec des intros courtes, et que le morceau dans son entièreté ne soit pas trop long.
David Picard explique que du fait de ces nouvelles nomenclatures, il arrive de « voir apparaître des versions spéciales des morceaux« . « Les plateformes permettent de démultiplier les possibilités, […] les formats dépendent des plateformes et des styles de playlists qui sont proposées » ajoute-t-il.
Tarafa Sahloul est critique par rapport à cette influence du format streaming sur la création. « De plus en plus de labels ont une identité forte, sont exigeants artistiquement mais doivent se plier à la dictature du streaming et de la playlist » précise-t-il, ajoutant qu’il faut « faire attention à ce que cela ne prenne pas le pas sur la vraie identité de la création ».
La playlist au détriment des albums ?
Pour Charlie Fraudeau pourtant, « le concept d’album est encore important, c’est un vrai argument et il a une vraie valeur pour aller voir des partenaires comme les tourneurs, pour aller voir la presse… Et il est aussi toujours important pour les sorties physiques ».
Youssoupha complète en expliquant que sa génération a appris à sacraliser les albums, mais qu’à l’époque où son père, le musicien congolais Tabu Ley Rochereau, faisait de la musique, « ce n’était déjà pas le même rapport à l’album ». « Les formats peuvent changer, les usages changent, cela créé des opportunités commerciales » ajoute-t-il.
Mais pour Tarafa Sahloul, « le mode de consommation streaming risque de faire voler en éclat l’album comme mode d’écoute« . Pour autant, « cela ne veut pas dire que l’album est mort en tant qu’objet artistique » précise-t-il. Pour Lecomte de Brégeot, un avantage des playlists par rapport à l’album est la possibilité de « toucher le public plus rapidement qu’avec un album qui est plus long à sortir, qui contient plus de titres que les gens peuvent aimer ou non ».
Le streaming, une opportunité de développement adaptée à tous les artistes ?
Youssoupha et David Picard s’accordent pour dire que la stratégie de distribution doit dépendre de l’artiste. Youssoupha explique : « il y a des artiste de radio, des artistes de concert, des artistes de streaming. On ne travaille pas chaque artiste de la même façon, il faut écrire un modèle de développement et de diffusion pour chaque artiste ». David complète : « Certains morceaux vont sortir avec des projets complets, pour nourri un EP ou un album par exemple. D’autres sortent de façon isolée pour aller alimenter les playlists, ce qui permet de construire un contexte pour l’artiste, de développer ses réseaux. »
Charlie Fraudeau explique qu’en plus des artistes, la notion de genre est importante. « Dans le classique, si l’artiste est populaire, les revenus générés par le physique sont incomparables par rapport au streaming » précise-t-il. Pour Tarafa Sahloul, « il faut être innovant en fonction des genres et des artistes : l’electro et le rap sont beaucoup plus prêts pour le streaming que le jazz et le classique ». David Picard approuve : « chez Nowadays, on fait beaucoup de développement d’artistes avec un public plutôt jeune génération. Le physique ne les intéresse pas du tout du coup nous sortons quasiment tout en digital. »
Le streaming en complément du physique
Tarafa Sahloul ajoute que pour lui, un gros travail d’éducation est toujours à faire auprès de labels qui craignent que le streaming ne cannibalise leurs ventes de CDs. Pour lui, « ces modes de consommation sont complémentaires, il faut être référencé le plus possible pour avoir le plus d’opportunités de ventes ». Les playlists permettent « d’avoir une corde de plus à notre arc pour distribuer la musique » approuve Youssoupha. Il ajoute que l’avantage du streaming est de permettre aux petits labels de profiter d’un mode de distribution plus accessible. David Picard complète « les playlists permettent aussi de travailler d’autres territoires que l’on n’aurait pas pu approcher en radio », ajoutant là aussi une nouvelle opportunité de développement pour les artistes.
Tarafa Sahloul relativise cependant la mort annoncée du format physique « le téléchargement est mort avant que le CD alors qu’il était censé l’enterrer ». Youssoupha approuve « il y a une part de poétique dans le physique« .
Les points de vigilance liés aux playlists
Une sélection formatée
Pour Youssoupha, le premier point sur lequel rester vigilant est le formatage des contenus proposés dans les playlists. « Le système des playlists rappelle la radio, et la radio a créé des cases. Certains artistes ne pouvaient plus accéder au grand public parce que les radios les ont bloqués », précise-t-il en se prenant comme exemple de ce genre de blocage. Précisant qu’il n’a pas de problème avec le streaming qu’il considère plutôt comme une opportunité, il précise « qu’il faut que les artistes puissent avoir les supports qui fonctionnent avec leur musique ».
Le rappeur ajoute également que si les playlists sont plutôt impartiales aujourd’hui car créées pour la plupart par des algorithmes, on pourrait imaginer qu’à l’avenir il soit possible d’influencer les algorithmes par du financement. Tarafa Sahloul va plus loin, mentionnant qu’il faut être « vigilants par rapport à la future hégémonie des plateformes » et des conflits d’intérêts qui peuvent apparaître. « Le risque est d’avoir un seul interlocuteur […] qui décide au niveau mondial quelle est la bonne musique à écouter ». A l’heure actuelle par exemple, les plateformes mettent très peu en avant les playlists de tiers, une problématique que confirme Charlie Fraudeau.
La dictature de la donnée
Pour Tarafa Sahloul, aujourd’hui il est d’autant plus important d’avoir un univers cohérent autour d’un artiste pour se distinguer. Selon lui, il ne faut pas limiter sa stratégie au placement d’un morceau sur une grosse playlist : « S’il n’y a pas d’actualité, de scène pour les artistes […] sur le long terme ça n’a pas forcément de sens ou de pertinence. »
Il ajoute qu’il faut également être vigilant au sujet des données d’écoute disponibles, qui peuvent parfois peut être trompeuses. Un artiste dont un morceau est entré en playlist peut avoir de très bons chiffres d’écoute sans pour autant augmenter sa base de fans. David Picard approuve « avoir un morceau en playlist ne crée pas directement un suivi sur les réseaux sociaux ». Charlie Fraudeau ajoute qu’en particulier dans les playlists par mood ou ambiance, il est difficile « de faire identifier l’artiste car il se fond dans une atmosphère homogène ».
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