QUELLES RELATIONS ENTRE ARTISTE ET PRODUCTEUR AUJOURD’HUI ?
Avec l’émergence des nouvelles technologies, il est de plus en plus simple pour un artiste d’être autonome sur les différentes étapes de sa carrière et d’avoir la main sur les différents métiers qui l’entoure. Compagnon de route traditionnel de l’artiste et parmi les plus proches de celui-ci, on peut imaginer que métier de producteur a lui aussi dû évoluer pour s’ajuster à cette nouvelle autonomie des artistes.
Comment artistes et producteurs interagissent-ils aujourd’hui ? Quelles sont les attentes des artistes par rapport aux producteurs ? Les producteurs ont-il fait évoluer leur rôle, et si oui, comment ?
Lors de la table ronde organisée lors du dernier Forum Entreprendre dans la Culture, plusieurs intervenant de haut vol se sont interrogés sur ces questions :
- Keren Ann, artiste, auteure, compositrice, interprète
- Pascal Nègre, créateur de la société de management #NP, ancien PDG d’Universal Music France
- Stéphane Le Tavernier, président de Sony Music France et du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP)
- Denis Ladegaillerie, PDG de Believe Digital, leader mondial de la distribution digital et services aux artistes et labels indépendants
- Issam Krimi, artiste, compositeur, interprète, producteur et président de la Guilde des Artistes de la Musique (GAM)
QUEL EST LE RÔLE DU PRODUCTEUR ?
Traditionnellement, le producteur est la personne qui investit de l’argent dans la carrière de l’artiste, pour lui permettre de composer sa musique, l’enregistrer dans de bonnes conditions, la promouvoir avec des clips vidéos par exemple, et toute autre dépense nécessaire au développement d’une carrière. La plupart du temps, c’est le label ou la maison de disque qui joue ce rôle de producteur, en allouant aux artistes une avance sur leurs futurs revenus.
Stéphane Le Tarvernier explique que « le producteur est celui qui accompagne l’artiste tout au long de sa carrière, avec de l’investissement financier, de l’accompagnement artistique, marketing, des nouvelles expertises par exemple pour les réseaux sociaux, l’analyses de données… » Le producteur est celui qui va gérer la quantité invraisemblable d’informations auxquelles est confronté un artiste. Le producteur agit donc en véritable partenaire, dans un rapport de confiance et pour apporter « de la valeur ajoutée ».
Souvent au démarrage un jeune artiste va choisir, un peu par défaut, de se produire lui-même. C’est ce que nous expliquaient les membres de BIG Junior par exemple. C’est d’autant plus simple dans des genres musicaux comme l’electro ou les musiques urbaines, qui ne demandent pas d’avoir des instruments de musique comme la pop ou le rock.
QU’EST-CE QUI A CHANGÉ DEPUIS L’ARRIVÉE D’INTERNET ?
Pour Denis Ladegaillerie, « internet a mis les artistes dans une situation de pouvoir plus importante ». De plus en plus d’artistes se produisent seuls par choix volontaire et non par dépit. C’est le cas de la sensation electro Petit Biscuit par exemple. Certains d’artistes vont plus loin et ont également internalisé les compétences des maisons de disques. Le groupe PNL par exemple gère tout en dehors de la distribution, assurée par Believe Digital.
Keren Ann ajoute que l’industrie a eu peur pendant des années de la fin d’une certaine ère, d’une certaine façon de faire les choses, mais que « ce qui est intéressant c’est la mutation : d’autres genres de musique qui sont apparus, qui apprennent aux autres à faire autrement, et qui apportent le côté entrepreneur à l’industrie ».
LES RÔLES DU PRODUCTEUR
Le financement :
La Direction Artistique
Issam Krimi estime que « le poste de Directeur Artistique est clé, mais qu’aujourd’hui les directeurs artistiques sont plus sur des mécanisme de business et moins d’artistique ». L’industrie manque de Directeurs Artistiques au sens premier du terme, car ils sont une émulation pour créer.
Pascal Nègre ajoute que « l’artistique c’est la capacité de parler de chansons, de rentrer dans les morceaux, dans les textes. A deux on a plus d’échanges, on expérimente des choses. » Pour lui la direction artistique c’est aussi un aspect de pari, de mises en relation. Il rappelle que l’association si prolifique d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy s’est faite par l’intermédiaire d’un label.
La découverte de talents
Avec l’émergence des réseaux sociaux, des vidéos YouTube et autres nouveaux médias, la question se pose également de savoir si les maisons de disques ont toujours un rôle de découvreur de talents qu’elles occupaient avant.
Pour Stéphane Le Tavernier, il est certain que les maisons de disques observent les réseaux sociaux pour identifier de nouveaux talents, mais cela ne veut pas dire pour autant que la maison de disque intégrera l’artiste tel quel, sans adapter son projet artistique. L’avantage cependant c’est que « les artistes qui se font connaitre sur internet sont des artistes qui savent déjà ce qu’ils veulent, qui ont affiné leur projet. »
Pascal Nègre ajoute qu’aujourd’hui « un artiste a déjà une communauté de plusieurs milliers de personnes avant que la maison de disque s’intéresse à lui », ce qui est tout l’inverse de ce qui pouvait se voir autrefois.
COMMENT LA CHAÎNE DE VALEUR A-T-ELLE ÉTÉ MODIFIÉE ?
Avec l’apparition du numérique, tous les métiers traditionnels ou presque ont donc été modifiés. De nouveaux outils sont mêmes apparus pour aider les artistes à gagner en autonomie. Nous en avions présenté une liste non exhaustive.
Denis Ladegaillerie relativise cependant : « les savoirs faire d’il y a 20 ans sont les mêmes qu’aujourd’hui : création, marketing, promotion, distribution… il y a des artistes pour qui c’est plus facile d’internaliser ces compétences, alors que certains artistes ont des besoins bien spécifiques ». Pascal Nègre approuve : « un artiste ne fait pas une carrière tout seul, il a besoin d’être entouré de gens en qui il a confiance ». Il faut dire que la chaîne de valeur de la musique est plutôt complexe, et que l’apparition de ces outils à rendu la concurrence encore plus importante entre les artistes pour gagner le cœur du public.
« Les savoirs faire d’il y a 20 ans sont les mêmes qu’aujourd’hui. »
Un des exemples les plus parlants de ces dernières années est celui de Wati B, le label créé et dirigé par Dawala (qui aurait dû être présent à la conférence) et qui a permis l’émergence d’artistes aux succès commerciaux incontestables comme Sexion d’Assaut. Les rappeurs, en particulier aux Etats-Unis, ont été les premiers à s’organiser en petites entreprises, à tout gérer seuls, à diversifier leurs revenus autour de marques de vêtements, d’alcool et autres. C’est le cas de Wati B aujourd’hui, qui après 10 ans de travail de développement en indépendant s’est associé avec Sony Music pour toucher un public plus large et trouver des compétences complémentaires en particulier dans la distribution.
Pour Issam Krimi, de nouveaux acteurs sont apparus entre la maison de disque et le marché, ce qui a eu pour conséquence d’accentuer la distance entre producteurs et artistes. Les artistes peuvent aujourd’hui remplir des concerts en un seul tweet, grâce à une proximité renforcée entre public et artistes qui ne passe plus nécessairement par les maisons de disque.
LES NOUVEAUX ENJEUX
Le changement majeur de l’apparition des outils numériques, et celui qui a eu le plus d’effets sur l’industrie musicale, c’est bien sûr le streaming. Chamboulant les modes de distribution, de rémunération, de consommation de la musique, le streaming est pour la première fois en 2016 la première source de revenus pour l’industrie. Plusieurs questions se posent toujours
La répartition de valeur
Pour Denis Ladegaillerie, le problème de la répartition de valeur est moins lié à la rémunération et au business model qu’aux effets secondaires du piratage : « 60% du marché a été détruit, on est encore en train de le reconstruire ». Pour lui, le modèle de rémunération du streaming suit la même logique que celle de la redistribution physique. Le véritable problème qui a créer les difficultés financières de beaucoup d’acteurs, c’est bien le piratage qui a privé l’industrie de revenus pendant une longue période. Il rappelle que PNL réalise aujourd’hui 70% de son chiffres d’affaires avec le streaming. Il y a trois ans, même avec le même volume de stream mais avec un taux d’abonnés payants moins important, les revenus auraient été extrêmement faibles.
Issam Krimi ajoute que des questions se posent sur les modèles de rémunération, pour être certain que tous les artistes impliqués sur un morceaux soient bien rémunérés pour leur travail. Il relativise : « le paradigme a changé, la question est maintenant : comment continue-t-on à produire et à créer ? Comment fait-on pour en profiter ? »
« Le paradigme a changé, la question est maintenant : comment continue-t-on à produire et à créer ? Comment fait-on pour en profiter ? »
La mise en avant des artistes
Pour Keren Ann, « l’aspect financier on va le comprendre, on va le trouver, on va y arriver ». Pour elle, le vrai scandale est lié à l’éducation musicale. « Toute cette nouvelle manière d’écouter la musique ne permet pas de connaitre les musiciens, les compositeurs, le studio dans lequel le morceau a été enregistré… » Il faut trouver un moyen visible et accessible pour que le public puisse avoir accès à toutes les informations qui vont habituellement de pair avec l’album, pour mettre en valeur les ayants-droits qui contribuent à la création.
La diversité
Ce qui inquiète Pascal Nègre quant à lui, c’est la diversité des morceaux. Diversité d’abord dans la mise en avant des artistes français, leur visibilité sur ces plateforme : « Le fond de catalogue représente seulement un quart du marché physique. Tout le reste c’est de la nouveauté, et 50% de ces nouveautés sont du répertoire français. Dans le streaming, 50% des revenus sont générés par le fond de catalogue, dont la majorité sont des morceaux internationaux. » Denis Ladegaillerie approuve : « les plateformes comme Spotify ne se sont pas encore véritablement posé la question de l’exposition locale ».
Deuxième problématique liée à la diversité : les musiques les plus favorisées sont souvent celles écoutées plutôt par les jeunes, plus gros usagers des plateformes. Ce phénomène explique le poids de l’urbain et de l’électro. Le risque serait donc de voir les maisons de disque favoriser ces esthétiques musicales elles aussi et donc d’en faire disparaître d’autres.
De nouveau, Denis Ladegaillerie approuve : « si des artistes comme PNL tirent 70% de leurs revenus du streaming, c’est parce que les utilisateurs de ces plateformes sont jeunes et représentent une audience spécifique. Pour les artistes avec une audience plus âgée la rémunération est un vrai sujet. »
« Pour les artistes avec une audience plus âgée la rémunération est un vrai sujet. »
La mort de l’album ?
Le streaming favorise la consommation morceau par morceau, et fait la part belle aux singles plutôt qu’aux albums. Pour Pascal Nègre cela ne veut pas pour autant dire que le format d’album est mort, simplement qu’il va évoluer. « La réalité c’est qu’un artiste fait 12 chansons en y mettant la même rage, la même énergie ». Cela amène également d’autres réflexions : « plus il y a de titres dans un album, plus il y a de clics, plus il y a d’argent ! ».
L’IMPORTANCE D’AVOIR UN UNIVERS ARTISTIQUE COMPLET
Puisque les artistes peuvent désormais espérer lancer leur carrière seuls, de plus en plus de candidats se lancent dans l’aventure. Mais comment se distinguer dans la masse d’artistes en herbe ? Pour Pascal Nègre, « aujourd’hui les gamins écoutent la musique avec les yeux. […] On ne crée pas l’univers artistique que dans le son ». Il faut intégrer également l’image, la vidéo, le spectacle… »
« Aujourd’hui les gamins écoutent la musique avec les yeux. »
Issam Krimi ajoute que « les opportunités de création à l’heure actuelle elles sont énormes, il y a énormément de possibilités. Si PNL n’a pas besoin d’aller à la télé c’est parce qu’ils ont un propos, une identité artistique, un visuel… »
Et de conclure « ce serait frustrant de devoir se priver de toutes ces opportunités simplement parce que le modèle économique n’est pas encore trouvé. »