WARM : l’outil de tracking des diffusions radio qui manquait à l’industrie
L’analyse de données est un outil crucial pour les artistes et les acteurs de l’industrie aujourd’hui. Réseaux sociaux, écoutes streaming, vues sur YouTube… Elles sont clés pour tenter d’identifier l’audience d’un artiste, comment elle se comporte et où elle se trouve.
Dans le même temps, la radio résiste encore et toujours à l’envahisseur streaming et reste un des moyens privilégiés pour découvrir des artistes. Problème : il était jusqu’à maintenant très difficile de suivre avec précision les diffusions radio d’un artiste. C’était sans compter sur WARM, qui vient remettre de l’ordre dans le suivi et la collecte des données airplay. Acronyme de « World Airplay Radio Monitor », WARM est l’outil le plus développé (et le seul de cette importance) à la disposition des artistes pour suivre la diffusion radio de leurs morceaux.
J’ai eu l’opportunité d’échanger avec Jesper Skibsby, cofondateur, à l’occasion de sa présentation à Paris le 27 janvier pour le Salon de la Radio / European Radio Show. Il nous présente le service, depuis son idée jusqu’à son développement, et les prochaines étapes pour 2018.
Les origines de WARM
Jesper a débuté sa carrière dans l’industrie de la musique en tant que manager de plusieurs groupes au Danemark. Un tour sur son profil LinkedIn permet de se rendre compte de sa large expérience dans ce secteur.
L’idée de WARM lui est venue alors qu’il travaillait avec l’un de ces groupes. Il réalise en étudiant l’airplay du groupe qu’une station de radio en Pologne diffuse régulièrement un de leur titre, malgré une stratégie de promotion concentrée sur le Danemark. Face au refus de la major d’étendre la promotion en Pologne, Jesper prend les devants et contacte lui-même la radio pour leur envoyer leur nouveau single.
C’est ainsi qu’il résume la volonté qui l’a poussé à créer WARM. « Si tous les artistes, indépendants ou signés, pouvaient avoir cette information en temps réel, cela leur permettrait d’avoir accès à un tout nouveau panel de données »
Le lancement
Il décide donc il y a 4 ans de collaborer avec Bach Technologies, entreprise allemande ayant déjà développé la technologie back-end qui permet au service de fonctionner. Le service se lance en avril 2017 avec la volonté d’aider l’industrie de la musique. « Je trouvais ça ridicule que les musiciens et les petits labels ne puissent pas suivre leurs diffusion radio. Ils ont accès aux données des services de streaming, mais les données radio sont les plus difficiles à obtenir. »
Les artistes émergents sont la cible principale du service. « Notre objectif c’est de vendre aux artistes de la long tail de l’industrie. Il est beaucoup plus intéressant d’aider les 95% des artistes qui se partagent les 5% des revenus. Les artistes émergents ont vraiment besoin de ce genre de produits pour se développer au mieux. »
Jesper est rapidement rejoint par le CIO Kristoffer Jensen et par la Directrice de la communication Sherin Almajid. Depuis Janvier 2018, 3 personnes sont venues renforcer cette équipe ambitieuse. Aujourd’hui WARM est dans une belle phase de lancement. « Nous avons déjà beaucoup de clients : agences de promotion, labels, managers, promoteurs radio, artistes… Nous avons signé avec notre première major il y a quelques jours. De plus en plus de monde est en train d’adopter le service. »
WARM offre à ses utilisateurs :
Des données ultra-pertinentes aux multiples usages
WARM suit les passages des morceaux à l’antenne des radios traditionnelles AM/FM, mais aussi des radios en ligne et des radios DAB, très développées en Scandinavie. Au total ce sont plus de 24000 radios dans 124 villes qui sont intégrées au service, et le chiffre ne cesse de grimper.
Ces données permettent aux utilisateurs de repérer des tendances naissantes et d’affiner leur stratégie marketing, promotion radio et même l’organisation de leurs tournées. Elles offrent aux artistes une connaissance beaucoup plus précises que ne le peut Spotify par exemple. « Si vous êtes un artiste et que vous analysez vos données Spotify, vous pouvez par exemple conclure que vous êtes populaire dans 5 villes. En réalité c’est peut-être juste que Spotify a ajouté votre morceau à une playlist qui a beaucoup d’auditeurs dans ces villes. Du coup ce ne sont pas des vrais fans, simplement des gens qui ont écouté votre morceau. Je ne pense pas que les données de Spotify seules permettent d’avoir une bonne vision de votre marché potentiel ou de la localisation de vos fans. »
WARM permet également aux artistes de conserver une trace de leur diffusion radio, ce qui peut s’avérer très utile pour justifier du paiement de royalties. Charge à eux ensuite de faire les démarches pour récolter l’argent qui leur est dû. « C’est un sujet qui nous intéresse beaucoup mais ce n’est pas notre focus pour le moment. La valeur que nous apportons actuellement c’est l’information. Et les systèmes de collecte sont très complexes d’un pays à l’autre ! »
Des données internationales et très précises
L’autre avantage de ces données, c’est qu’elles sont fondamentalement mondiales et ne dépendent pas d’une plateforme ou d’une autre. « Dans beaucoup de pays Spotify n’est pas le seul service de streaming, il y a Deezer en France, Apple et Tidal aux Etats-Unis, en Chine c’est encore complétement autre chose. La radio est internationale, c’est le même format partout. »
Dans le même temps, WARM permet d’avoir des données ultra-localisées. « Si vous êtes un groupe Islandais et que vous vous rendez compte qu’une université au Wisconsin passe votre morceau, c’est une cible très précise et spécifique, une démographie d’auditeurs très particulière. Et pour entrer en contact avec cette cible, vous avez juste à rentrer en contact avec l’animateur radio. Comme il a déjà passé votre morceau, il vous apprécie déjà. Il n’y a aucune raison pour lui de ne pas entrer en contact avec vous. C’est ce qui s’est passé avec mon groupe en Pologne, et ça peut être le cas pour tous les groupes et artistes. Notre préoccupation c’est comment rendre cette démarche encore plus facile pour tous les artistes ».
Des données facilement actionnables
Les artistes peuvent ainsi définir une stratégie beaucoup plus efficace pour se faire connaître. « Si vous faites du rock et que vous êtes en Angleterre, pourquoi ne pas tenter de percer en Europe de l’Est ou du Sud, là où le rock est très populaire ? Il y a déjà énormément d’artistes qui veulent se faire connaître en Angleterre. »
L’équipe travaille d’ailleurs à faciliter encore plus cette démarche grâce à un plugin, WARM RPS, qui devrait sortir fin 2018. Basé sur une intelligence artificielle, le plugin pourra suivre la progression d’un titre du moment où il a été envoyé pour diffusion en radio jusqu’à sa diffusion effective. « Nous sommes en discussion avec de nombreuses radios pour savoir comment elles aimeraient que ce service soit construit. WARM cherche à aider avant tout les artistes mais si les radios n’utilisent pas le produit, alors il n’aura pas d’intérêt pour les artistes. » Une version très light du plugin devrait sortir dans les prochains jours à destination des artistes abonnés à l’année.
Un service accessible pour tous les artistes
Afin de rester cohérents avec leur volonté de rendre les données radio disponibles pour tous les artistes, l’équipe de WARM décide de développer un produit peu cher et accessible à tous. A l’heure actuelle, un artiste peut suivre 1 morceau pour 5€ par mois, ou 36€ par an. « D’autres modèles d’abonnements sont également en cours de définition pour les agences de promotions radio ou les labels qui veulent suivre plus de morceaux, plus longtemps. »
Un marché saturé de données, qui reste à éduquer
Le secteur du tracking et de l’analyse de données est en pleine explosion actuellement dans la musique. Jesper n’est pas pour autant inquiété par la concurrence. « Nous utilisons une technologie beaucoup plus développée et plus facile à étendre. Certains de nos concurrents collectent beaucoup de données de différentes sources, y compris la radio, mais dans de bien moindres mesures. »
Les autres services de suivi des diffusions radio se concentrent également sur les gros clients comme les maisons de disques et autres grosses entreprises du secteur. « C’est l’opposé de ce que nous voulons faire. Je pense que personne n’avait développé ce genre de produits avant parce que les majors et les grosses entreprises ne s’intéressent à l’airplay que quand ils pensent que cela peut rapporter en termes de collecte de droits, pas tant pour découvrir des nouveaux marchés, des nouvelles tendances. J’espère que cela changera quand tous les artistes auront accès à ces données ! »
Une stratégie de développement claire
L’équipe se concentre donc principalement sur l’éducation des acteurs du secteur. « L’un des problèmes que je rencontre c’est que beaucoup de gens dans l’industrie pense que quelqu’un d’autre est déjà en train de faire ce suivi radio. Les artistes pensent que le label le fait, les labels pensent que les agences le font. Et finalement personne n’a l’information. Et pour cette raison ils pensent ne pas avoir besoin d’un service comme le nôtre, alors qu’il est capable de faire bien plus que les outils qu’utilisent les majors. »
La startup, lancée depuis moins d’un an, est déjà reconnue par la profession : sélection dans les 20 startups musique à suivre en 2018 par Music Ally, vainqueur du concours de startups de Slush Music en 2017… Pour Jesper, l’origine de ce succès est simple. « Nous prenons en main quelque chose que beaucoup de gens ne comprennent pas ou ne savaient pas qu’il était possible de faire. Nous rendons accessible un énorme panel de données. Et surtout nous ne faisons qu’une seule chose : la radio. Nous nous concentrons sur ça et nous sommes les meilleurs là-dessus. Personne ne peut nous égaler en prix, en couverture et en expérience utilisateur. C’est une grosse responsabilité à assumer ! »
Les perspectives pour 2018
Jesper est confiant que la radio n’est pas prête de disparaître, bien au contraire. « Beaucoup de grosses stations de radios souffrent aujourd’hui parce l’argent de la publicité n’est plus aussi élevé qu’avant. Mais d’après un rapport de l’UNESCO, 94% des gens écoutent la radio dans le monde au moins une fois par semaine, ce qui fait presque 7 milliards de personnes. C’est plus que toutes les plateformes de streaming et YouTube combinés ! »
« Avec les radios digitales, le format va beaucoup se développer et on va pouvoir écouter n’importe quelle radio, où l’on veut et même sans réseau. Je pense qu’on va également voir beaucoup plus de bloggeurs, d’associations, d’entreprises lancer leurs radios. »
Prochaines étapes pour WARM
2018 s’annonce chargée pour l’équipe WARM. La priorité est l’expansion des radios suivies, entre 35 000 et 40 000 stations. « Notre focus c’est de développer la couverture radio au maximum. Il nous manque des zones en Afrique centrale, en Asie, et probablement au Groenland, mais à part ça pour le moment nous sommes bien établis partout. Nous voulons ensuite ajouter le monitoring TV et YouTube ».
Au programme également, le déploiement du plugin WARM RPS et le développement de charts par genre et non plus par pays. Fidèles à la volonté d’aider en priorité les artistes de la longue tail, ces charts permettront de mieux mettre en avant les artistes émergents. « Souvent les charts sont occupés par les artistes internationaux et les petits groupes locaux y sont absents. Nous voulons faire des charts par genre, dans des zones plus larges, pour donner de la reconnaissance aux plus petits artistes et concrètement les aider. » Et l’équipe ne s’arrête pas là. « Nous travaillons aussi à créer un « college radio airplay chart system » pour les 760 radios universitaires d’Amérique du Nord. Cela va beaucoup aider les petits artistes parce que ces radios passent ce qu’elles aiment et pas seulement les nouveautés ou les tops. »
Dernier check dans la liste des objectifs pour Jesper : « Je vais participer à un panel à SXSW cette année. C’était un de mes objectifs principaux quand j’ai commencé et je l’ai atteint en 8 mois. Je me sens très chanceux, maintenant je dois revoir ma liste d’objectifs ! »
Retrouvez plus d’informations sur WARM :
- Le 27 Janvier à l’European Radio Show
- Sur leur site
- Sur Facebook et LinkedIn
Pour contacter Jesper : par email ou sur LinkedIn. « Je fais de mon mieux pour répondre à tout le monde ! »
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1 réponse
[…] J’avais également rédigé un article à partir de cette même interview, disponible là : WARM : l’outil de tracking des diffusions radio qui manquait à l’industrie. Pour aller plus loin, retrouvez une sélection d’articles un peu plus bas dans cet article. […]